Côte d’Ivoire : le Kroubi, une tradition, notre histoire

Article : Côte d’Ivoire : le Kroubi, une tradition, notre histoire
Crédit: Aubin KRAH
2 mai 2022

Côte d’Ivoire : le Kroubi, une tradition, notre histoire

Le Kroubi est une danse traditionnelle qui se pratique dans le district du Zanzan, au Nord-Est de la Côte d’Ivoire. Elle est pratiquée par les jeunes filles dont l’âge varie entre 5 et 25 ans. Il n’est pas rare d’y trouver des enfants beaucoup moins âgées. Les avis divergent sur les origines et le caractère religieux de cette danse. En effet, il n’y a que dans le district du Zanzan qu’elle est encore pratiquée. Elle l’a été, autrefois, dans plusieurs régions du Nord de la Côte d’Ivoire. C’est lors des derniers jours du Ramadan que le kroubi est dansé, d’où son étiquette religieuse musulmane. Néanmoins, cette affirmation reste discutable car aucune autre communauté musulmane ne la pratique en Côte d’Ivoire ou ailleurs.

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Kroubi à Kouassia Nanguini . Crédit photo : Aubin KRAH

Le Kroubi, une affaire de mère et fille

Les jeunes filles sont habillées de tenues traditionnelles : pagne kita, kogora (pagne traditionnel koulango), de bijoux, de parures et d’étoffes. Toutes, en principe, tiennent en main des chasse-mouches faits de queue de cheval ou de bœuf. A défaut, des feuilles de palmier sont utilisées. Tout cet apparat est généralement fourni par la mère qui l’a, très souvent, reçu de sa mère. Ainsi, lors de ces danses endiablées, les filles continuent de bénéficier des conseils de leurs mères, tantes, grand-mères. Elles leur montrent comment balancer les bras, les hanches, le cou. Le coaching est continuel.

Sur place, vous ne manquerez pas d’entendre les mères crier : « gbèli », « man », « minlèhi », « hèmim ». En langue locale, cela veut dire, « penche la tête avec souplesse », « souris », « c’est n’est pas ainsi », « fais-ainsi ». Il n’y a qu’à voir les yeux étincelants des mères sur les filles qui font des prouesses sur l’estrades, pour deviner qu’elles revivent, en leurs filles, leurs souvenirs d’enfances.

Le coaching depuis le sol. Crédit photo : Aubin KRAH

Lors de mon séjour à Kouassia Nanguini (KN), j’ai pu entendre une mère dire « elle fait comme si je ne lui ai pas appris ça avant ». En effet, on ne monte pas pour le kroubi sans un coaching préalable de sa mère, de sa tante, de sa grand-mère. Aussi, on ne danse pas que pour soi, mais pour également pour ses parents, au sol.

Je rapporte le témoignage recueillie par mon amie Adja Bio Néefer : « J’ai rencontré une mère en train de pleurer dans son coin lors du Kroubi. Quand j’ai cherché à savoir ce qui se passait, elle m’a dit qu’à la dernière édition (qui remonte à 3 ans): « j’étais ici avec ma fille qui est depuis lors décédée. Tout ça me fait me remonter des souvenirs. Aimons-nous et profitons des instants heureux ». Ce triste témoignage montre à quel point le Kroubi est l’occasion de communion, de complicité affichée et publique entre mère et fille, tante et nièce, grand-mère et petite fille.

Le Kroubi, et si on allait plus loin ?

Pendant la couverture photo du Kroubi à KN, j’ai pu entendre une mère faire cette reproche à sa fille qui tenait à côté d’elle en bas, bébé au dos. Elle lui disait :  » Si tu n’avais pas fait d’enfant, tu serais aujourd’hui sur l’estrade avec des amies du même âge « . S’il y a une vingtaine d’année on pouvait encore voir de grandes filles sur l’estrade, maintenant, elles se font de plus en plus rares.

En effet, la tradition interdit aux filles ayant des enfants de participer à cette danse ou du moins de monter sur l’estrade. Une légende dit que l’estrade se casse quand une fille enceinte (d’autres disent non-vierge) ose monter. Ainsi, face à la sexualité précoce, aux grossesses scolaires et précoces dans cette région, les grandes filles au Kroubi se font, en effet, rares. Sensibilisation ? Lutte contre les grossesses précoces ? On pourrait peut-être ouvrir une lucarne lors de ces cérémonies…

Le Kroubi, une affaire uniquement de femme ?

L’absence et le désintérêt des hommes, des garçons, des jeunes et l’un des constats que j’a pu faire durant cette cérémonie. En effet, après avoir coupé les arbres pour l’installation de l’estrade, les hommes, les jeunes garçons de ce village ont tout simplement disparu. Seuls de deux ou trois donnaient un coup de main et assuraient la « sécurité ». Les mères ont dû soulever l’échelle pour monter leurs filles, battre le tam-tam et chanter. Désintérêt ou choix de tradition ? Une mère à qui j’ai posé la question m’a simplement répondu « même si tu leur demandes, ils ne viendront pas ». La majorité des jeunes qui a bien voulu se déplacer sur le site s’est muée en spectateur au lieu d’acteurs.

Le spectacle en vaut la peine. Crédit photo: Aubin KRAH

Je pense que nous, ressortissants de la région, allons devoir jouer notre rôle dans la promotion de cet air culturel. Nous devons mieux vulgariser et faire connaître le Kroubi ainsi que le Sacraboutou.

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Commentaires

N'Guessan Jean Christ Koffi
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Le sujet est très instructif. Merci très cher.